Virginité ?

(l’article traitera exclusivement de la vision de la virginité et de la sexualité de femmes cis dans un contexte hétéro)

Je pourrais vous parler de la virginité d’un point de vue médical, vous dire que non, l’hymen a peu à voir là-dedans, qu’il n’est d’ailleurs pas censé se déchirer brutalement comme on déchire l’emballage papier d’un cadeau qu’on nous offre, qu’un médecin ne peut en réalité pas certifier si un vagin a oui ou non connu le passage d’un pénis, que ces « certificats de virginité » que certains délivrent à des femmes ne sont en rien une preuve médicale réelle, rien de plus qu’une illusion, une sorte d’effet placebo nécessaire pour certain-es, pour rassurer, pour donner une valeur matérielle à une parole de femme. Beaucoup l’ont déjà fait avant moi, avec plus de précisions. Non, ici je ne vais aborder que l’aspect social; parce qu’au final, la virginité d’une femme, c’est surtout ça : tout un mythe patriarcal.


Je crois que dans ma vie, la question de l’envie -du moins du côté de la femme- n’a jamais été évoquée pour la « première fois ». La perte de virginité, c’était une étape indispensable, très vite une contrainte. On se devait de le faire, d’y passer, et non par envie, mais parce que c’est-comme-ça-que-les-choses-fonctionnent-et-c’est-tout-il-faut-baiser. A l’école, les profs nous parlent de contraception, nous montrent comment mettre un préservatif masculin sur une banane, et la classe rigole d’un air gêné. Déjà, ne parler toujours que de préservatif masculin et de pilule pour la contraception, c’est un manque éducatif énorme en matière de santé sexuelle, mais surtout, le point toujours oublié et pourtant si important : c’est celui du consentement. Je ne vais pas mentir, on ne m’a jamais appris pendant ma scolarité que le sexe, c’était une question d’envie, qu’on avait le droit de dire non, de ne pas vouloir et que ce n’était pas grave d’oser le signifier.

Personnellement, il me semble que la question de la virginité m’est apparue au collège. L’époque de la découverte partielle d’une sexualité, d’abord par les changements corporels liés à la puberté, une découverte de son propre corps, de son désir, puis les cours de svt sur la reproduction sexuée, et peut-être enfin par les garçons qui nous apprennent tous ces nouveaux mots au détour d’une blague salace, ou encore lorsqu’ils racontent fièrement dans la cour de récrée ou la file de la cantine, la vidéo porno qu’ils ont vu la veille sur youporn en navigation privée sur l’ordinateur de leurs parents en se cachant pour ne pas être surpris, avec aussi l’excitation de faire quelque chose d’interdit.

Plus les années passaient et plus cette virginité pendait dangereusement au-dessus de ma tête et celles de mes copines comme une épée de Damoclès. Plus on devenait honteuses d’être toujours vierges. Alors parfois on détournait le sujet, on mentait, on rougissait. Mais surtout, on encaissait toute la pression sociale, parce qu’en fait c’était ça cette épée de Damoclès, et pas la virginité en soi. Et flash news : non, on ne se sent pas plus différente après qu’avant, pas de changement soudain, ou alors seulement dans l’esprit des autres, lorsqu’on nous fait passer de la catégorie de vierge frigide à celle de salope. Si tu voulais être une meuf cool au lycée, il fallait avoir baisé, mais ni trop tôt ni trop tard, et c’est là tout l’enjeu du problème. Et bien sûr par baiser, on entendait toujours le coït, c’est-à-dire ici un acte hétéro de pénétration vaginale par le pénis; ce qu’on appelle les « préliminaires », ça ne comptait pas. C’est pas du « vrai sexe » ça, c’est juste un apéro avant le repas. J’ai appris seulement fin collège, lors d’une intervention de deux femmes du planning familial, que la première fois n’était pas établie que par un pénis dans un vagin, que des préliminaires ou une pénétration anale, c’était aussi du sexe qui comptait pour de vrai.

Pour les questions, de la part des filles-qui-ne-l’ont-pas-fait à celles-qui-l’ont-fait, tout tourne toujours autour du niveau de douleur et non autour du plaisir possible. Ce qui traduit bien d’une chose : le sexe pour les femmes est d’abord subi par elles, et dans la violence. Que la première fois, c’est forcément nul et douloureux, mais que « c’est pas grave », parce que ce sera peut-être mieux après. Autrement dit, la première fois s’apparente beaucoup trop souvent, consciemment ou non, à du sexe forcé parce qu’il faut bien y passer. On apprend aussi vite que les femmes ont une sorte de date de péremption qui leur colle à la peau, un âge fatidique à ne pas trop dépasser si on veut rester passable et acceptable. Si t’as toujours pas baisé à ta majorité, alors ça craint, il faut se remettre sérieusement en question. Et se presser. Ce dernier point est important, la sensation du temps qui presse ajoute à la pression ressentie. On en vient à penser à des choses auxquelles on ne devrait pas penser : à faire ça vite fait, avec n’importe quel inconnu qui accepterait, « comme ça c’est fait » et hop on est tranquilles. On nous pousse dans une logique malsaine et dangereuse pour nous. Il faut se forcer, après ce sera fini. La première fois, c’est comme un pansement à enlever, il faut tirer d’un coup sec et hop c’est fait on n’en parle plus.

J’avais tellement peur de la douleur -par toutes les histoires horribles que j’avais entendu, de filles qui pleuraient littéralement de douleur pendant, de draps remplis de sang, de saignements pendant plusieurs jours, de pénis qui restait coincé dans le vagin- que j’avais depuis longtemps totalement occulté l’idée même d’envie. Pourtant, de l’envie et du désir sexuel, j’étais capable d’en ressentir. Mais la peur prenait toute la place. Il fallait que j’y passe, à tout prix, comme ça après c’est fini. Et, finalement, quand tout a eu lieu, la peur était toujours omniprésente, et accompagnée par un énorme malaise. J’étais complètement passive, parfaitement dans la position de la personne qui subit ce qui lui arrive, crispée, les yeux fermés. J’avais honte de mon corps, je refusais de le voir. Toute cette peur et ce malaise étaient si forts en moi que j’en ai gardé beaucoup de marques les fois suivantes aussi, avec d’autres partenaires. Je subissais en enlevant tout aspect « naturel », je ne me sentais pas moi-même, tout était ultra mécanique, pas de place pour le plaisir, ou seulement une illusion de plaisir. Un plaisir simulé, et peut-être pas tant pour rassurer le partenaire que pour me rassurer moi-même, pour me dire que je suis normale. Oui parce qu’en plus de faire du sexe, on se doit aussi d’aimer ça, c’est la condition sine qua none qui va avec. Et lorsqu’on ne prend pas son pied, qu’on se fait même carrément chier voire qu’on a mal, le premier réflexe, en face et aussi de nous-mêmes, c’est très souvent de se remettre en question. Si je n’ai pas aimé c’est que je dois avoir un problème on m’a dit que le sexe c’était cool et épanouissant je dois être cassée quelque chose ne va pas. Alors on psychote et culpabilise, parce qu’on nous apprend toujours -implicitement ou non- que le problème -et pour plein de contextes- vient toujours des meufs et pas des mecs, alors que souvent, c’est surtout le contraire. Et le fait que le terme « mal baisée » soit utilisé comme insulte envers les femmes et non envers les hommes est assez révélateur : si on est mal baisées, c’est qu’on a mal été baisées par notre partenaire, donc ce n’est pas nous le problème, c’est lui.

Je crois que je suis assez énervée et déçue aujourd’hui d’avoir subi et ressenti cette pression sociale pendant mon adolescence, ces injonctions au sexe, ce mythe horrible de la première fois douloureuse et ensanglantée. Je me rends compte aujourd’hui qu’au final, tout ça est un énorme cercle vicieux parce que, si effectivement on vit si mal ce moment, c’est très souvent parce qu’on nous a appris qu’on le vivrait mal, que c’était comme ça que les choses avaient lieu. Et qu’on ne peut évidemment pas être dans de bonnes conditions pour le vivre lorsqu’on est tétanisées de peur et d’angoisse.

 

 

 

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