Douce destruction (3)

(TW viol)

Tu as fait quelque chose de très moche il y a quelques temps, tu sais.

Depuis un mois et demi maintenant, il y a un bar où je vais souvent. Vraiment très souvent. Tellement souvent que je connais les noms des habitués et les habitués connaissent mon nom. Les barmans et barmaids aussi me reconnaissent bien. J’ai une histoire compliquée avec ce bar, que je connais depuis quelques années, que j’ai fui pendant un temps puis que j’ai ré-appris à aimer. Aujourd’hui, je sais que je m’y sens bien et c’est plaisant d’avoir un lieu où on se sent bien. Sauf que voilà, tu as fait quelque chose de très moche : tu as osé venir. Tu as franchi le pas de la porte du bar, tu es rentré malgré le petit mot à l’entrée qui prévient que le bar est intransigeant avec les agresseurs. Tu as brisé cette bulle de confiance que j’avais réussi à instaurer en moi en ces lieux.

Je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie d’être en retard. Vraiment, t’as pas idée. En fait, j’aurais dû, au moment où tu as posé un pied dans ce bar, être là, assise à une table, surement une bière face à moi, entourée de mes amis. Mes amis eux, étaient là et t’ont vite reconnu. Il a suffi qu’on te rappelle simplement mais fermement que tu n’as rien à faire là et -heureusement- tu es parti. Je suis arrivée une demi-heure plus tard, je tremblais dans le métro parce que je savais que tu étais venu au moment où j’aurais pu y être. Je tremblais parce qu’à trente minutes près, je t’aurais croisé, tu aurais posé tes yeux sur moi et je serais morte, j’en suis sûre. J’aimerais me dire que non, que je suis forte, plus forte que toi. Mais lorsque j’ai reçu le message qui me prévenait que tu étais là (d’ailleurs, qu’est-ce que tu faisais là ? tu ne viens jamais dans ce bar), je me suis effondrée dans les bras de ma maman, juste avant de partir. En sortant du métro et jusqu’au bar, j’avais les nerfs à vif. Je sursautais à tout. J’avais l’impression de te voir partout autour de moi (et avec la myopie en prime, ça n’aide pas à y voir clair). Quand j’attendais au comptoir qu’on me serve, j’avais toujours l’appréhension de te voir resurgir d’un coup à la porte. Et ça ne m’a pas quitté depuis. Je me sentais bien dans ce lieu, maintenant je m’y sens un peu plus à l’étroit. Et cette maladie, la peur, je sais que je ne m’en débarrasserai jamais complètement, je dois simplement apprendre à vivre avec pour toujours.

Tu sais, parfois je repense à cet airbnb, le dernier. Tu te souviens du couple qui y vivait ? Moi je me souviens des photos d’eux dans le salon, de ces moments heureux immortalisés et je suis un peu triste pour eux. Je suis triste parce qu’ils ne savent pas que pendant leur absence, un garçon a décidé de briser une fille dans leur lit. Et tu sais. Peu importe ce que tu dis, peu importe tes tentatives de me faire passer pour la folle hystérique et toi le grand prince profem qui accepte de se sacrifier sur l’autel des pauvres hommes accusés à tort ; au fond de toi tu sais très bien ce que tu as fait. Et je me doute bien que c’est inconfortable comme position. Mais en fait, je m’en fiche pas mal de tes état-d’âmes, comme tu t’en fichais de me faire du mal. Tu te souviens quand je te disais que ça me faisait mal ? Quand je t’ai demandé d’arrêter ? Tu te souviens que je ne voulais pas, que tu m’as mis la pression, encore, jusqu’à ce que je cède ? Tu te souviens de mon corps en refus, et puis toi qui te forces quand même à l’intérieur ? Tu te souviens de mon corps inerte et nu sur le lit, moi qui ferme les yeux et me mords l’intérieur des joues pour ne pas pleurer ? Tu trouves vraiment que ça ressemble à ça « faire l’amour » ? Et est-ce que tu te souviens, quand je t’ai dit d’arrêter, que ça faisait vraiment trop mal, que tu as dit « attends, j’ai pas fini », que finalement, tu as joui, que tu t’es posé à côté dans le lit, moi toujours immobile, que tu as dit « je pense que tu es asexuelle mais c’est pas grave, c’est pas ta faute » ? Ahah oui évidemment, c’est moi le problème, pas du tout toi qui me violes. Tu as tellement brisé quelque chose ce jour-là qu’une amie l’a vu tout de suite sur mon visage le soir-même et elle m’a sauvée. Elle a compris sans même que je parle, elle m’a dit « tu viens à la maison ce soir, d’accord ? tu ne retournes pas avec lui, promis » et elle est allée te voir, elle t’a dit que je ne venais pas et que tu n’avais pas ton mot à dire, c’est comme ça et c’est tout.

Tu sais, ce soir où tu es venu au bar-où-je-me-sentais-bien, une scène se répétait en boucle dans ma tête tout le reste de la soirée. Je me disais « et si j’étais venue plus tôt ? ». Je t’aurais vu entrer dans le bar, être face à moi. Je m’imagine crier, crier très fort. Et te frapper, à m’en briser les mains, jusqu’à ce que tu me demandes d’arrêter et que je te dise « attends, j’ai pas fini ». Heureusement que je suis venue en retard, n’est-ce pas. Je ne sais pas si cette scène se serait déroulée. J’en doute même beaucoup. Mais je n’ai pas envie d’avoir à le savoir, parce que ce que je sais, c’est que je ne veux plus jamais te recroiser de ma vie.

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